mardi 28 avril 2020

Les soldats oubliés de la crise sanitaire

Ignorer les personnes immunisées, c’est se priver d’une force appréciable pour combattre le Covid-19

Puisque la lutte contre le Covid-19 est une guerre, il convient de mobiliser le maximum de combattants disponibles. Or il est une catégorie que nos gouvernants oublient systématiquement dans leurs déclarations[1] : les personnes immunisées[2]. La guérison du Covid-19, heureusement constatée par des centaines de milliers voire des millions de nos concitoyens ayant subi une forme atténuée de la maladie, est due à l’action de leur système immunitaire[3]

 L’immunité protège le patient contre une nouvelle attaque du virus. Elle le protège aussi contre la contamination des personnes qu’il rencontre. Cela ne dispense pas de tous les gestes barrière, car après tout, les vêtements, la peau peuvent porter des traces de virus comme les poignées et objets courants passés de main en main. Certes les patients ayant subi une forme grave, ou ayant une faiblesse immunitaire, pourraient être moins protégés que les autres. Certes cette immunité acquise pourrait n’être pas durable, en particulier si le virus mute. Il n’empêche que la presque totalité de ces individus immunisés constitue les soldats de base de l’immunité collective vers laquelle nos autorités nous disent qu’il faut tendre. Ils forment surtout une force appréciable pour résoudre la crise.

En tout premier lieu, sous réserve de leur état de santé général, elles sont une source de sérum pouvant être administré aux patients souffrant des formes les plus graves, ou potentiellement menacés par des contre-indications aux rares remèdes utilisés aujourd'hui. La collecte de sérum est difficile, mais cela peut être la seule voie pour certains patients.

En second lieu, ces personnes peuvent assumer des missions simples portant un risque de contamination, avec des contraintes plus légères que celles imposées aux personnes non atteintes. Des volontaires immunisés peuvent apporter du réconfort et rendre des services aux personnes les plus fragiles, sans risque de les contaminer. Ils peuvent assurer quelques fonctions simples dans les lieux à risque (unités spécialisées Covid-19, EHPAD) avec plus d’assurance grâce à leur protection naturelle.

À supposer que l’émergence d’une nouvelle souche du virus apparaisse, l’immunité acquise lors de la première attaque est de nature à mieux les défendre contre la seconde qu’une personne non atteinte. Et surtout, le fait qu’elles présentent à nouveau des symptômes permettrait d’identifier l’émergence de cette nouvelle souche.

Plus largement, les personnes immunisées d’une entreprise peuvent se mettre aux avant-postes pour le redémarrage de celle-ci. Alternativement, elles peuvent assurer quelques tâches d’intérêt collectif ne nécessitant pas une technicité trop grande auprès des collectivités, des associations, des services sociaux. Elles peuvent par exemple participer aux brigades de recherche de contacts que le Premier ministre, dans son discours du 28 avril, prévoit de mobiliser. Cette tâche complètement nouvelle ne demande pas d’expérience particulière. D'autres emplois sont possibles.

Enfin, ces personnes peuvent tout simplement aider à résoudre certaines petites aspérités que le déconfinement progressif continuera de faire peser sur la majorité de la population.

Il paraît légitime qu’eu égard aux services qu’ils peuvent rendre et en l’absence de danger sanitaire pour la population, ces personnes puissent bénéficier d’une plus grande latitude de circulation, sans pour autant se dispenser de gestes barrière, sans prise de risque excessif pour les autres, et sans ostentation.

De même que les départements, voire les communes, pourraient définir des règles différenciées selon la prévalence du virus, les personnes reconnues immunisées pourraient faire l'objet de règles différenciées à raison de leur état sanitaire pendant la période de décontamination. Elles seraient invitées à se faire connaître de leur entreprise, de leur commune, sur la base du volontariat. Elles bénéficieraient dès le 11 mai de la liberté de circulation de droit commun. Elles pourraient accepter de suivre un programme de suivi médical permettant d'évaluer la durée de cette immunité naturelle dans le temps, d'anticiper les éventuelles séquelles que la maladie peut provoquer chez des sujets ayant eu une forme non grave, voire d'identifier une possible seconde vague du virus muté. L'acceptation de ces contraintes et de ce risque apporte beaucoup à la nation en regard d'une liberté de circulation qui ne coûte rien.

Des mesures doivent éliminer le risque de laisser des personnes se prétendre immunisées alors qu’elles ne le sont pas. Les avis d'au moins deux professionnels de santé – par exemple une consultation d’un médecin de ville et un test de laboratoire – seraient requis. Ces avis seraient datés.  

A défaut d'un minimum de reconnaissance positive, les personnes immunisées pourraient contester les limitations de liberté, notamment de liberté de circulation, qui leur seraient imposées alors qu’elles ne portent aucunement le risque contre lequel le gouvernement veut protéger la population. Plutôt que de provoquer un bras de fer juridique qui serait une ligne de front supplémentaire, il serait préférable de mobiliser ces personnes pour la lutte collective.

Les députés, représentants de tous les citoyens, ne manqueront pas, je l’espère, de veiller à ce que les forces vives les plus adaptées puissent efficacement aider le pays à surmonter la crise.



[1] Emmanuel Macron dans son allocution télévisée du 13 avril 2020 ; Edouard Philippe dans sa déclaration à l’Assemblée Nationale du 28 avril 2020.
[2] Il en est d’autres, je pense aux chauffeurs et livreurs, qui passent leur temps à voir des personnes variées, potentiellement dangereuses pour eux.
[3] Selon l'estimation du 21 avril 2020 de l'Institut Pasteur (https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/covid-19-modelisation-indique-que-pres-6-francais-ont-ete-infectes). Noter au passage que cette étude s'appuie implicitement sur l'hypothèse que les personnes sur lesquels ont détecte des anticorps anti-Sars-Cov-2 construisent, par leur immunité individuelle, l'immunité collective qui permettrait de maîtriser la pandémie.

15 commentaires:

  1. (Reçu par un autre canal): Cher Monsieur, votre proposition est intéressante, mais se heurte à un problème économique: le manque de tests. GV (Paris).

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    1. Les tests sont une ressource rare qu'il faut gérer avec discernement. Les tests d'immunité doivent être prescrits par un médecin, compte tenu de l'utilité du test pour son patient et pour la collectivité. En priorité à tout patient qui, en raison de sa profession, est susceptible de rencontrer de nombreuses personnes ou d'intervenir auprès de personnes fragiles (personnel de santé, personnels en EHPAD, livreurs aux particuliers...). Puis les personnes volontaires pour mettre leur immunité au service d'une entreprise, d'une collectivité ou d'un opérateur rendant un service particulièrement utile. Ce sera une manière de gérer la demande de tests d'immunité.

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  2. Les commentaires qui suivent sont repris à partir d'un débat écrit entre personnes ayant une solide culture scientifiques. Chaque commentaire résume une ou plusieurs objections de membres du groupe. Les réponses aux commentaires sont de moi-même.

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  3. L'OMS vient d'avertir la communauté internationale qu'il n'y aurait aucune preuve que les personnes ayant eu la maladie et des anticorps ne risquaient pas de l'attraper à nouveau. Dans ce cas, est-il bien utile de développer une stratégie fondée sur l'acquisition d'immunité ?

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    1. Dans son message du 25 avril 2020, L'OMS entend avant tout appeler l'attention des pays qui projettent de développer des "passeport d'immunité". L'immunité n'est pas démontrée simplement par un test qui détecte des anticorps. Il faut aussi que le patient soit parfaitement remis, et que son immunité soit suffisamment solide en qualité et quantité des anticorps. Les critères, notamment les seuils, ne sont pas encore maîtrisés. Surtout, aucun test n'est infaillible, et l'effet d'un faux positif peut être désastreux. Mais aucun médecin principe général d'acquisition d'immunité après épisode symptomatique n'est pas remis en cause. Il reste utile de se préparer à un tel dispositif, en attendant les confirmations scientifiques. De nombreux laboratoires travaillent sur cette poste de par le monde.

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  4. Il semble que la plasmothérapie, c'est-à-dire les soins avec les anticorps de personnes immunisées, n'ait pas été retenue.

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    1. Il est vrai que la plasmothérapie, simple dans son principe, est lourde à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent, les essais sont décevants. Rien n'empêche d'ouvrir la possibilité, au cas où de nouvelles études démontrait l'intérêt du la plasmothérapie.

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  5. Il semble que des personnes ayant eu la maladie, même sous forme légère, aient des séquelles pulmonaires plusieurs semaines après leur guérison. Est-il raisonnable de les exposer à nouveau au virus ?

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    1. Les missions auprès de personnes malades ne seraient proposées que sur la base du volontariat, et après examen des éventuelles séquelles notamment pulmonaires. Il faut une autorisation médicale, comme pour une pratique sportive.

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  6. En cas de mutation du virus, l'immunité acquise à l'occasion d'une première attaque peut être totalement inutile. On le voit d'ailleurs pour la grippe saisonnière. Il faut se revacciner tous les ans.

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    1. Si les mutations sont si rapides qu'une personne immunisée ne le soit que pour quelques semaines, l'objectif d'immunité de groupe n'est qu'une chimère. Il convient alors de le dire clairement aux populations et de changer de stratégie.
      En tout cas, une nouvelle infection sur un sujet identifié comme immunisé signalera immédiatement une mutation. C'est une information précieuse pour la lutte contre la pandémie.
      Les personnes acceptant un tel risque, sur conseil éclairé de leur médecin et après évaluation de leur état sanitaire, rendent un service important à la collectivité.

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  7. Si un simple certificat médical suffit à conférer une plus grande liberté aux personnes immunisées, il est certain que des certificats de complaisance, voire des faux, apparaîtront très vite.

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    1. Un seul certificat ne sera pas suffisant, il faudrait probablement l'avis de deux professionnels de santé, en plus d'un voire deux tests. De plus la personne doit être mobilisée par son entreprise, ou accepter de l'être pour une mission d'intérêt collectif pour laquelle son immunité est un avantage.

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  8. Comment les personnes immunisées pourraient-elles contester les limitations de liberté auxquelles elles sont contraintes ? Les règles sont les mêmes pour tous. Le gouvernement a même reculé sur l'idée d'imposer des règles spécifiques aux plus de 65 ans, car ces règles n'auraient visé que certaines personnes.

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    1. Il y a une différence importante entre imposer des règles particulières sur le seul critère de l'âge, ou sur le critère d'un état sanitaire temporaire. Dans le premier cas il s'agit d'une "essence", d'une qualité intrinsèque de la personne, la règle particulière contredit le principe d'égalité. Dans le second cas il s'agit d'un "état", qui écarte en soi un risque objectif, ou au moins le rend très peu probable. C'est du même ordre que le certificat médical pour exercer un sport. Par ailleurs, l'allègement de contrainte est justifié par le service rendu à l'entreprise ou à la collectivité. On retrouve certains des cas autorisant aujourd'hui l'exception au principe de confinement à domicile.

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