Débat contradictoire entre deux députés à propos du mariage homosexuel: la filiation culturelle doit-elle remplacer la filiation naturelle ?
C’est un cadeau de LCP que ce débat contradictoire entre Hervé Mariton et Patrick Bloche, deux députés bon connaisseurs du sujet, partageant la même estime pour les personnes et la même passion pour les causes qu’ils défendent chacun.
La difficulté dans un tel débat est l’ambition de vouloir traiter simultanément, dans un temps très restreint, la question du mariage entre personnes homosexuelles, et celle de la filiation et l’éducation d’enfants par des parents autres que leurs géniteurs.
Les débatteurs reconnaissent la diversité des familles et de la situation éducative de nombreux enfants. Ils reconnaissent aussi la nécessité de respecter la convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE), argument qui est d’ailleurs avancé par Patrick Bloche.
L’argumentation de Patrick Bloche est fondée sur les principes d’égalité et de liberté
L’argument de liberté n’est pas discuté, à mon avis parce qu’il n’y a aucune nouvelle liberté à acquérir. Dès aujourd’hui, personne n’oblige deux personnes à se marier pour procréer et rien n’interdit à une femme de se féconder elle-même avec la semence d’un inconnu : aucune intervention médicale n’est nécessaire pour cela. La liberté demandée serait d’organiser le mode d’éducation. Mais on parle de contraindre des parents éducateurs à un statut qui ne leur est pas adapté, plutôt que de les laisser libre de conventionner cette organisation. Enfin, l’argument de liberté ne peut faire échec aux principes de la CIDE, selon laquelle c’est en fonction de « l’intérêt supérieur de l’enfant » que doit être organisée son éducation, non pas en fonction de desiderata des parents. En synthèse, l’argument de liberté rend suspect son auteur.
Plus largement l’argument de liberté que j’entends fréquemment est le suivant : « laisse libre les personnes qui s’aiment de contracter un mariage ». Sauf que la fonction civile d’un mariage est de conférer automatiquement une filiation aux enfants qui en naissent, et aussi de conférer automatiquement les responsabilités éducatives aux géniteurs mariés. Autant laisser la liberté à nos ingénieurs d’équiper nos voitures de roues carrées, dont chacun sait qu’elles ne roulent pas.
L’argument d’égalité est quant à lui au centre de la revendication du collectif LGBT. Il se fonde selon moi sur une vision dévoyée de l’égalité. La femme est l’égale de l’homme, donc elle peut épouser une femme, et de même un homme peut épouser un homme. Ce serait discriminer que d’interdire un mariage entre personnes du même sexe. Or la déclaration universelle des Droits de l’Homme prescrit que « Les hommes (c’est-à-dire les êtres humains, qu’ils soient hommes ou femmes) naissent et demeurent égaux en droit ». Il n’est pas prescrit que tous les humains doivent avoir la même taille ni les mêmes capacités physiques, encore moins que soit abolie leur différence sexuelle ! Patrick Bloche est d’ailleurs contesté par l’animateur lui-même, qui constate que la procréation médicalement assistée ne résoudra pas le désir d’enfant des couples d’hommes. Où est l’égalité ?
En définitive, la proposition que défend Patrick Bloche, au nom du Parti socialiste comme il le précise, est fondée sur l’assimilation abusive, sur l’amalgame. Au nom d’un principe de non-discrimination, elle impose de ne plus distinguer l’union homosexuelle de l’union hétérosexuelle là ou justement cette distinction est pertinente, c’est-à-dire quand la procréation est en jeu. Elle est fondée sur l’idée que pour arriver aux mêmes effets il faut abolir la diversité des causes. Elle conduit à effacer des caractéristiques de la diversité, comme ces mauvais informaticiens qui, pour se simplifier la vie, veulent ramener la diversité des pratiques à un modèle unique, abolissant les accents, la distinction majuscule-minuscule, en un mot toutes les subtilités distinctives qui font la richesse d’une civilisation.
Un déni de démocratie ?
Malgré la courtoisie du propos, Patrick Boche conteste l’idée que ce projet puisse faire l’objet d’un débat national, et met en garde contre l’organisation de manifestations contre le projet, sous prétexte que des propos homophobes pourraient en être le slogan. Je ne me souviens pas d’un tel déni de démocratie depuis ce qu’on m’a raconté des sombres années de 1930 à 1945. Les manifestations des 17 et 18 novembre n’ont pas donné lieu aux propos homophobes que visait Patrick Bloche. En revanche, quel déluge d’insultes contre les églises opposées au projet gouvernemental : elles sont interdites de débat, non parce qu’elles sont églises, mais parce qu’elles portent la contradiction.
Patrick Bloche rappelle que de nombreux pays d’Europe ont ouvert le mariage aux homosexuels. Hervé Mariton rappelle qu’ils ne forment pas la majorité des pays d’Europe. Personnellement, cet argument me paraît misérable. La France n’éclaire-t-elle donc plus les peuples ? N’est-elle plus capable d’apporter une proposition d’un système de droit qui fasse école ? Voilà un sujet sur lequel elle pourrait apporter une lumière nouvelle, fondée sur la distinction entre les différentes situations et en leur conférant une égale dignité, et il faudrait qu’elle s’aligne ?
Assumer la filiation naturelle et la diversité des familles sans en stigmatiser aucune
L’argumentation d’Hervé Mariton est fondée sur la nécessité de distinguer les situations dans leur diversité plutôt que de les amalgamer. Oui, il existe des enfants élevés par d’autres personnes que leurs géniteurs, et certains sont aujourd’hui élevés par des couples homosexuels. Aucune de ces situations n’est méprisable. Mais tous ces enfants connaissent la filiation génétique dont ils sont issus : ils savent qu’ils ont un père et une mère, ce qui leur permet de se structurer dans une famille éducative différente.
Certains mettent en cause le lien entre le mariage et la filiation, au prétexte qu’un nombre très important d’enfants naissent hors mariage : désormais la famille commence plus souvent par le premier enfant que par le mariage. Mais, justement, ces parents unis par un premier enfant viennent souvent se marier ultérieurement, consacrant leur projet de fonder une famille : le lien mariage-filiation continue d’exister, même s’il se constitue selon une séquence différente.
À travers la contestation du lien entre mariage et filiation, on comprend finalement que Patrick Bloche entend débarrasser le mariage de la dimension de filiation naturelle, et n’en faire qu’une simple convention entre personnes en vue de fonder une famille éducative. Il s’agit donc de conférer une vision uniquement culturelle du mariage et de la filiation, en récusant toute dimension naturelle. Hervé Mariton rappelle que certes on n’est plus très loin de pouvoir engendrer médicalement un enfant à partir du patrimoine génétique de deux personnes du même sexe, et peut-être d’une seule personne. La constitution d’une filiation uniquement culturelle, qui serait respectueuse de la liberté des parents de dissoudre leurs couples et de les recomposer, conduirait un enfant à avoir un nombre élevé de parents : trois, quatre ? Se poserait alors notamment la question de l'héritage et de la transmission du patrimoine. La polémique sur la reconnaissance en paternité de Zohra Dati, la succession de Jean-Luc Delarue, pour ne parler que de l’actualité récente, donnent une idée de la complexité juridique des successions avec des enfants pouvant se réclamer de parents multiples. Hervé Mariton, assumant la promotion de la filiation naturelle que récuse Patrick Bloche, se demande si des enfants ayant des parents aussi nombreux ne seraient pas finalement les enfants de tout le monde et de personne.
Distinguer n'est pas discriminer
Ce débat me renforce dans l’idée de maintenir la distinction entre les différentes situations, tout en veillant à l’équité et à la justice des droits qu’elles engendrent. Distinguer entre le mariage « traditionnel » entre un homme et une femme, qui entendent fonder une famille par procréation naturelle, et l’union civile entre personnes de même sexe, portant des effets semblables entre elles et vis-à-vis de la société. Distinguer entre la filiation génétique d’une personne, qui lui permet de se situer par rapport à un père et une mère, et la responsabilité éducative d’une ou plusieurs ou personnes sur un mineur.
Comme le dit Hervé Mariton, distinguer n’est pas discriminer : ce n'est pas mépriser des homosexuels ni être homophobe que de dire que leur union n’est pas un mariage. Patrick Bloche ne le conteste pas. Une ouverture ?
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