lundi 25 mars 2019

Marie était-elle consentante ?

Rogier Van de Weyden, l'Annonciation

La fête de l'Annonciation, occasion d'une réflexion impertinente sur la notion de consentement des mineurs à des gestes intimes.

La représentation que fait le flamand Rogier Van de Weyden de l'Annonciation aide, j'espère, à comprendre mon propos un peu décalé de ce jour. La scène a lieu un 25 mars, soit 9 mois avant le 25 décembre, date du solstice d'hiver selon le calendrier officiel de l'époque des faits. En effet, le calendrier de l'empire romain promulgué par Jules César en 45 av. J.-C. programmait le solstice d'hiver, fête du "soleil invaincu", le 25 décembre. La chrétienté, devenue religion officielle, recyclera ultérieurement ce jour en fête de la Nativité.

D'après ce qu'en raconte l'évangéliste Luc, l'ange Gabriel entre chez Marie, une jeune fille de bonne famille de Nazareth, déjà fiancée à un descendant du roi David. L'ange lui dit qu'elle donnera prochainement naissance à un fils, qu'elle prénommera Jésus. Ce fils "sera grand et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père". Marie demande comment cela est possible puisqu'elle "ne connaît point d'homme": elle ne s'est pas encore donnée à son fiancé. Selon l'ange, "le Saint Esprit viendra sur [elle], et la puissance du Très Haut [la] couvrira de son ombre". D'ailleurs, tout est possible à Dieu, puisque que sa parente Elisabeth, que l'on appelait la stérile, est enceinte et déjà dans son sixième mois. Marie accepte alors ce qui lui est annoncé, et "l'ange la quitte".

Je vous demande de faire un instant abstraction du sens généralement reçu de cette histoire, et d'imaginer la scène telle qu'elle serait vécue aujourd'hui. Le tableau de Rogier Van der Weyden est un des premiers à tenter une actualisation au contexte de son époque (vers 1440). L'ange, personnage jeune et richement vêtu, s'est introduit dans la chambre de Marie. Il est reconnaissable à ses ailes, mais dans les autres textes bibliques où un ange interagit avec des êtres humains, l'ange est vu de ses interlocuteurs comme une personne ordinaire. Dans le tableau, la jeune fille, dérangée dans sa lecture, esquisse un geste de défense. Mettez-vous un instant dans la peau d'une jeune fille sage, seule dans sa chambre, alors que brusquement un inconnu y pénètre. Il vous dit: "Comme tu es gracieuse, tu es bénie des dieux". Ne craindriez-vous pas que l'inconnu cherche à abuser de vous ? Cette crainte ne redoublerait-elle pas s'il ajoutait: "Tu vas être enceinte" ? Ce scénario est conforme au récit de Luc. Il apparaît mieux si l'on modifie légèrement le récit pour le débarrasser des expressions mille fois entendues et dont nous ne percevons plus le sens premier. Le lit nuptial, couleur rouge sang, présent au second plan du tableau, rend présente la crainte que ressent Marie à ce moment.

Par la suite, Marie va apparemment consentir au projet inattendu que propose Gabriel. Il est permis aux non-croyants de penser que ce sacré farceur de Gabriel à bien baratiné la jeune Marie qui a fini par se laisser faire. Toutefois ce consentement si soudain fait injure à une articulation cruciale du texte.

En effet, avant de parler de Gabriel, Luc prend la peine de raconter longuement l'histoire d'Elisabeth, la parente stérile et âgée de Marie. Après une étrange scène où son mari, de service au temple, perd l'usage de la parole, voilà qu'elle tombe enceinte. Elle cache son état pendant cinq mois. Et c'est au sixième mois que Gabriel entre chez Marie. A ce moment-là, Marie ne sait donc rien de la grossesse d'Elisabeth. Or, après lui avoir parlé de cet étrange projet de conception d'un fils, l'ange dit à Marie: "Sache qu'Elisabeth est enceinte."

Et c'est là que tout bascule. Cet inconnu parle avec précision d'un fait caché dans sa famille. Remettez-vous dans la peau de la jeune fille sage de tout à l'heure. L'inconnu vous dit: "Elle est guérie de son Alzheimer, ta vieille tante, elle reconnaît tout le monde". Comment cet inconnu est-il au courant de l'Alzheimer de ma vieille tante ? Comment sait-il qu'elle est guérie, alors que je ne le sais même pas ? Dès ce moment, l'intrus n'est plus un quelconque vagabond en quête de chair fraîche. Son discours est frappé du sceau de "témoignage véridique".

La suite de l'affaire peut être interprété diversement par le lecteur selon sa foi. Mais même si l'on admet, comme le suggère Emmanuel Carrère dans son livre Le Royaume, que Luc a créé de toutes pièces le cousinage entre Jésus et Jean le Baptiste, cette histoire familiale est ici nécessaire pour démontrer que Marie n'a pu porter crédit aux paroles de Gabriel que parce que celui-ci lui a parlé d'un secret de famille.

Dès lors, le "oui" de Marie n'est pas un simple oui d'opportunité à une offre discount. C'est l'approbation au programme qui lui est proposé par une personne digne de foi. Ce oui n'est pas un consentement. Il est une adhésion.

A la lumière de cette modeste analyse, qu'il me soit permis ici de critiquer l'usage du concept de consentement que donnerait un mineur, tout particulièrement une jeune fille, à être l'objet de gestes intimes de la part d'une autre personne. A écouter nos parlementaires, qu'un mineur consente à de tels gestes suffirait à les exonérer de tout caractère pénal. Je m'inscris totalement en faux contre cette vision. En constatant tout d'abord que le consentement serait recherché uniquement de la partie passive, bref de la fille le plus souvent, et du garçon en cas de pédophilie homosexuelle ou non. Il suffit alors que la partie active ne donne pas les apparences de la ruse, de la surprise ni de la contrainte pour qu'elle ne soit pas délictueuse. Un boulevard pour les pervers habiles.

Le critère à rechercher me paraît celui de l'adhésion, ce qui comprend le désir. Cela signifie que le mineur souhaite échanger des gestes intimes avec une personne particulière, à l'exclusion des autres. Plutôt que de subir ou accepter une situation qui se présente, il contribue activement à faire arriver la relation qu'il souhaite. Il y engage sa personnalité et accepte le risque d'échec de la relation. Il peut se tromper dans son jugement, mais est prêt à l'assumer. Ce qui n'est pas le cas du simple consentement.

Je forme ici le souhait que nos parlementaires ne se laissent pas aveugler par la chimère du consentement des mineurs en matière de relations intimes, mais recherchent s'il y a une réelle adhésion de la part du mineur à participer à de tels gestes. Il me paraît probable que l'on serait bien en peine d'en trouver dans la quasi-totalité des cas d'atteinte sexuelle sur mineur. Mais au moins la question serait posée dans des termes respectueux de la liberté.

Cet article a été publié initialement sous LinkedIn.

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